Être biographe, c'est avant tout avoir une certaine qualité d'écoute, sans compter un intérêt toujours renouvelé pour la diversité des expériences humaines.
En allant faire une course il y a quelques jours, j'ai été témoin d'une scène émouvante. Des retrouvailles entre deux vieilles dames, se connaissant visiblement depuis un certain temps mais ne s'étant pas vues depuis longtemps. Chacune très heureuse, elles s'échangeaient de longues nouvelles, fort détaillées et sans beaucoup de discrétion. Passage en revue des santés respectives, ainsi que des causes, me semble-t-il, du veuvage de l'une des deux. « Les enfants vont bien ? » Et elles enchaînèrent sur l'état matrimonial de leurs descendances, ainsi que sur les situations professionnelles des uns et des autres. Arrière-grand-mère depuis peu, l'une des deux répétait de temps en temps à quel point elle était heureuse de cette rencontre inattendue.
Pour ma part, cherchant dans un rayon à proximité ce dont j'avais besoin, j'entendais leurs échanges sans y faire trop attention. Une scène banale d'amies bavardes et peut-être un peu sourdes. Sans doute l'aurais-je vite oubliée, mais tout à coup des mots ont frappés mon oreille. La fille de l'une de ces dames venait d'avoir 59 ans, et avait quitté Paris pour se rapprocher de sa mère. « Eh oui, a dit l'autre, c'était il y a soixante ans, en Algérie ! » J'ai relevé la tête, et sourit à celle qui me faisait face et qui continuait à parler. Effectivement oui, quelque chose comme un accent particulier dans sa voix… Puis avec en main ce que j'étais venue chercher, j'ai quitté le rayon. Elles n'ont donc pas su, ces deux charmantes dames, que je retenais une envie d'aller vers elles. Une envie de leur dire : « Racontez-moi ! »
Lorsque l'on est biographe, ce sont les histoires qui viennent à nous. C'est rarement aller soi-même à leur rencontre, et certainement pas un samedi matin dans les rayons d'un grand magasin.